jueves, 28 de septiembre de 2023

François-Juste-Marie Raynouard. Introduction

François-Juste-Marie Raynouard

Choix des poésies originales des troubadours.

Par M. Raynouard,
membre de l' Institut Royal de France (Acad. Française, et Acad. des inscriptions et belles-lettres), officier de la légion d' honneur.

Contenant
Les Preuves historiques de l' ancienneté de la Langue romane; - Des Recherches sur l' origine et la formation de cette langue; les Éléments de sa grammaire, avant l' an 1000; - La Grammaire de la langue des Troubadours.

A Paris,
De l' imprimerie de Firmin Didot,
imprimeur du Roi, et de l' Institut, Rue Jacob, N° 24.
1816.

Introduction contenant les preuves historiques de l' ancienneté de la langue romane.

Les poésies originales des Troubadours, écrites en langue romane, seraient publiées presque sans utilité, si une grammaire détaillée n' expliquait en même temps les principes et le mécanisme de cet idiôme.

Rassembler les traditions historiques et les preuves matérielles qui attestent l' existence de la langue romane à des époques très reculées, remonter à son origine et à sa formation, offrir les éléments de sa

grammaire avant l' an 1000, et donner enfin les règles complettes de cette langue perfectionnée et fixée dans les ouvrages des Troubadours, tels sont les travaux préliminaires qui rempliront ce premier volume de la collection intitulée: Choix des poésies originales des Troubadours.
Sans doute ce titre ne paraîtra point déplacé à la tête même du premier volume, puisque les différents passages cités dans les exemples de la grammaire offriront déja plus de deux mille vers de ces anciens poëtes.

L' existence de la langue romane paraît dater du commencement de la monarchie française (1).

Dès ce temps reculé, les auteurs distinguent la langue romane, et la langue francique ou théotisque.

Jacques Meyer, dans ses annales de Flandres, parle en ces termes du choix qu'on fit de saint Mommolin pour évêque de Tournay.

"L' an 665, mourut saint Éloi, évêque de Tournai…

Mommolin fut choisi pour lui succéder, parce que c' était un homme d' une très sainte vie, qui savait la langue romane aussi-bien que la théotisque.” (2)

Les monuments qui appartiennent à l' histoire de France, nous montrent à l' époque du règne de Charlemagne quelques vestiges de l' idiôme roman.

(1) On a souvent répété la citation suivante, faite par Ducange dans la préface de son Glossaire, n° XIII.

"Romani etiam qui in Galliis habitabant, ita ut nec reliquiæ ibi inveniuntur, exterminati sunt. Videtur mihi indè Francos, qui in Galliis morantur, a Romanis linguam eorum, quâ usque hodie utuntur, accommodasse. Nam alii, qui circà Rhenum ac in Germaniâ remanserunt, Teutonicâ linguâ utuntur.

Quæ autem lingua eis antè naturalis fuerit ignoratur."

Luitprand. lib. 4. cap. 21.

Mais ce passage ne se trouve point dans les œuvres de Luitprand.

(2)."665. Obiit D. Eligius Tornacensis episcopus… Suffectus est episcopus

in locum ejus Momolenus, propterea quod vir esset sanctissimæ vitæ, qui romanam non minus quam Teutonicam calleret linguam."

Meyer. Annal. Flandr. p. 6.

En deux endroits des litanies Carolines, qu'on chantait alors dans les églises, le répons du peuple était en cet idiôme.

Quand le clergé chantait: Sancta Maria, etc.,

le peuple répondait à chaque fois: Ora pro nos. (lat. Ora pro nobis)

Quand le clergé priait pour le pape, pour Charlemagne, ou pour quelque prince de sa famille, etc., le peuple répondait à chaque fois: Tu lo juva (1:
Sancta Maria, ora pro nos.

Sancte Cherubin, ora pro nos.

Sancte Seraphin, ora pro nos.

Sancte Petre, ora pro nos.

Adriano summo pontifice, etc. vita:

Redemptor mundi, tu lo juva.

Sancte Petre, tu lo juva.

Karolo excellentissimo et a Deo coronato, etc. vita et victoria:

Salvator mundi, tu lo juva.

Sancte Joannis, tu lo juva.

Pipino et Karolo nobilissimis filiis ejus, vita, etc. tu lo juva.

Pipino rege Langobardorum, vita, etc. tu lo juva.

Chlodovio rege Aquitanorum, vita, etc. tu lo juva.

Omnibus judicibus et cuncto exercitui Francorum, vita et victoria:

Sancte Remegii, tu lo juva.

Marillon, Analecta vetera, p. 170.)

De ces six mots, que présentent les deux répons, LO appartient incontestablement à la langue romane, comme troisième personne du pronom personnel masculin au singulier; et NOS comme première personne indéclinable du même pronom au pluriel.

Les deux verbes ora et juva, ainsi que le pronom personnel tu, sont restés dans cette langue sans modification.

Le mot tu est très remarquable: jamais la langue latine ne l' a employé dans des litanies; c' est donc une tournure particulière.

Dans le serment de 842, cet ancien monument si souvent cité et réimprimé, on voit pro employé dans le même sens primitif de pour, comme une préposition alors en usage dans la langue romane.

Même avant le siècle de Charlemagne, on rencontre, dans les historiens étrangers, quelques indices qui peuvent s' appliquer à cet idiôme.

Vers la fin du VIe siècle, Commentiolus, général de l' empereur Maurice, faisait la guerre contre Chagan, roi des Huns. L' armée de Commentiolus étant en marche pendant la nuit, tout-à-coup un mulet renversa sa charge. Le soldat à qui appartenait ce bagage était déja très éloigné; ses compagnons le rappellèrent à cris réitérés: torna, torna, fratre, retorna.

Entendant cet avis de retourner, les troupes de Commentiolus crurent être surprises par l' ennemi, et s' enfuirent en répétant tumultuairement les mêmes cris. Le bruit en parvint jusqu' à l' armée de Chagan, et elle en prit une telle épouvante, qu' aussitôt elle s' abandonna à la fuite la plus précipitée. Ainsi ces deux armées fuyaient en même temps, sans que l' une ni l' autre fut poursuivie. Les historiens qui ont transmis le souvenir de cet événement, et qui ont conservé en lettres grecques les paroles que prononçaient les soldats de Commentiolus, assurent que ces mots, torna, torna, fratre, retorna, étaient de la langue de leur pays (1: Τῇ πατρώᾳ φωνῇ· Τόρνα, τόρνα φράτρε.
Theophan. Chronographia, fol. 218.
Éπιχωρίῳ τε γλώττῃ… ἄλλος ἄλλῳ, ῥετόρνα.

Theophylact. Hist. lib. 2, c. 15. - Histor. miscel. lib. 17.

Si ces légers vestiges de l' idiôme roman, trouvés dans des lieux et dans des temps si éloignés, nous offrent quelque intérêt, combien cet intérêt augmentera-t-il, quand nous pourrons croire que ces guerriers étaient Francs, ou Goths habitant les provinces méridionales de la France?
Je présenterai à ce sujet deux conjectures.

La première, c' est que Théophylacte, Hist. lib. 6, cap. 3, parle d' un traité conclu entre les Francs et l' empereur Maurice, pour faire la guerre contre Chagan: "Bessus et Bertus, dit-il, envoyés des Celtibériens, aujourd'hui appelés Francs, sont dans la ville. Théodoric, prince de cette nation, traitait avec l' empereur d' un tribut pour s' unir aux Romains, à l' effet de faire la guerre contre Chagan…” Quoique ce traité soit postérieur d' environ quinze ans, il est sans doute permis d' admettre qu' il existait, entre l' empereur et les Francs, des relations qui avaient précédemment amené des guerriers Francs dans l' armée de l' empereur d' Orient contre Chagan.

La seconde, c' est que ces guerriers pouvaient être des Goths, qui habitaient alors le nord de l' Espagne et le midi de la France.

Le même général Commentiolus, qui commandait l' armée de Maurice contre Chagan, avait fait la guerre aux Goths d' Espagne; il avait repris sur eux Carthagène, et il y avait résidé quelque temps, ainsi que l' atteste l' inscription suivante trouvée à Carthagène, et rapportée dans l' España Sacra, t. V, p. 75.

Quisquis ardua turrium miraris culmina

Vestibulumq. urbis duplici porta firmatum (vestibulumque)

Dextra levaq. binos positos arcos (levaque)

Quibus superum ponitur camera curba convexaq. (convexaque)

Comitiolus sic hæc fieri jussit patricius

Missus a Mauricio aug. contra hoste barbaro

Magnus virtute magister mil. Spaniæ

Sic semper Spania tali rectore lætetur

Dum poli rotantur dumq. sol circuit orbem. (dumque)

Ann. VIII, aug. ind. VIII. (Anno VIII aug., indictione VIII.)

Il est donc très vraisemblable que des Goths, vers cette époque, aient servi dans les armées commandées par Commentiolus, lorsqu' il

faisait la guerre à Chagan.)

Les mots de ces fragments sont conformes aux règles de la syntaxe romane, et ils s' accordent avec le style du serment de 842, où l' on trouve fradre employé comme fratre dans Théophane, et returnar à l' infinitif, comme retorna à l' impératif dans Théophylacte, quoique ce verbe n' existât point dans la langue latine.

Notre historien Aimoin rapporte (1) un fait bien plus difficile à expliquer.

"Justinien, dit-il, devient empereur. Aussitôt il rassemble une armée contre les barbares; il part, leur livre bataille, les met en fuite, et il a le plaisir de faire leur roi prisonnier; l' ayant fait asseoir à côté de lui sur un trône, il lui commande de restituer les provinces enlevées à l' empire; le roi répond: Je ne les donnerai point: NON, INQUIT, DABO; à quoi Justinien réplique: Tu les donnerasDARAS.”

(1: Ce mot daras est entièrement roman. Voy. page 71.).

Je n' attache point à ces diverses circonstances, ni aux conjectures qu'on peut en tirer, plus d' importance qu' elles n' en méritent, mais peut-être n' ai-je pas dû les omettre.

Un monument qui appartient plus directement à l' histoire de la langue romane, c' est l' ordonnance qu' Alboacem, fils de Mahomet Alhamar, fils de Tarif, publia en 734.

Ce prince régnait à Coimbre; son ordonnance permit aux chrétiens l' exercice de leur culte, à certaines conditions, et fut sur-tout favorable aux moines Bénédictins de Lorban; elle fut rédigée en latin, mais il s' y trouve quelques mots qui prouvent l' existence actuelle de la langue romane (2 – N. E. Voire le final de la introduction), tels que E, et, conjonction; esparte, répand; pectenpeiten, payent; peche, paye; cent, cent; apres, auprès; acolhenza, accueil.

On ne sera donc pas surpris de ce qu' un auteur, qui écrivait vers 950, Luitprand, racontant des faits historiques relatifs à l' an 728, atteste qu' alors la langue romane existait dans une partie de l' Espagne.

Ses expressions sont très remarquables:

DCCXXVIII. En ce temps furent en Espagne dix langues, comme sous Auguste et sous Tibère.
1° L' ancienne langue Espagnole; 2° la langue Cantabre; 3° la langue Grecque; 4° la langue Latine; 5° la langue Arabe; 6° la langue Chaldaïque; 7° la langue Hébraïque; 8° la langue Celtibérienne; 9° la langue Valencienne; 10° la langue Catalane”.
(1: "DCCXXVIII. Eo tempore fuerunt in Hispaniâ decem linguæ, ut sub 
Augusto et Tiberio. I Vêtus Hispana; II Cantabrica; III Græca; IV Latina; V Arabica; VI Kaldæa; VII Hebrea; VIII Celtiberica; IX Valentina; X Cathalaunica; de quibus in III lib. Strabo, ubi docet plures fuisse litterarum formas et linguas in Hispanis."

Luitprandi Ticin. Episc. Chronicon, p. 372, éd. de 1640, fol.)

Ces deux dernières étaient la langue romane même; on aura, dans le cours de cet ouvrage, l' occasion de s' en convaincre
(2: Voici à ce sujet quelques autorités:

Dans son histoire de Valence, Gaspard Escolano s' exprime ainsi:

"La tercera… Lengua maestra de las de España, es la Lemosina, y mas general que todas… Por ser la que se hablava en Proenza, y toda la Guiayna, y la Francia Gotica, y la que agora se habla en el principado de CatalunaReyno de Valencia, islas de MallorcaMinorca, etc."

Gasp. Escolano. Hist. de Valencia, part. I, lib. I, cap. 14, num. 1.

Nicolas Antonio dit de même:

"Ut enim veteres Provincialis linguæ seu Valentinæ poetas."

Nic. Antonio. Bibl. Hisp. vet. præf. t. I, num. 26.

"Elucubravit ipse Jacobus I, Aragoniæ rexvernacula gentis, hoc est

provinciali ut vocant linguâ, quæ tam in Cataloniæ, quam in Valentiæ, nec non in Montis-Pesulaniunde Maria fuit regis mater, ditionibus in usu fuit, rerum tempore suo gestarum historiam."

Nic. Antonio. Bibl. Hisp. vet. t. II, fol. 49, num. 144.)

Dans quelques titres qui concernent l' histoire d' Italie, on trouve pareillement, aux VIIIe et IXe siècles, des mots qui indiquent l' existence de la langue romane, tels que:

corre, il court (1); avent, ayant (2); ora, à-présent (3), etc.

A ces preuves matérielles, qui ne laissent aucun doute sur l' existence de la langue romane en Italie pendant les VIIIe et IXe siècles, je joindrai un témoignage bien précis, celui de Gonzon, savant Italien, qui écrivait, vers l' an 960: "C' est à tort que le moine de Saint-Gal a cru que j' ignorais la science de la grammaire, quoique je sois quelquefois arrêté par l' usage de notre langue vulgaire, qui approche du latin (4)."
(1) An 730. Murat. diss. 33.

(2) An 816. Murat. diss. 33.

(3) An 730. Cod. diplom. toscano, t. I, p. 366.

(4) "Falso putavit S. Galli monachus me remotum a scientiâ grammaticæ artis, licet aliquando retarder usu nostræ vulgaris linguæ quæ latinitati vicina est." Martène, Vet. Script. ampl. Collect. t. I, col. 298.

L' usage de cette langue vulgaire ne pouvait être un obstacle, qu' autant qu' elle était parlée journellement.

L' épitaphe du pape Grégoire V, décédé à la fin du même siècle, atteste qu' il parlait bien la langue vulgaire:
"Bruno, de la race royale des Francs, usant de l' idiôme francique, de l' idiôme vulgaire, et de l' idiôme latin, enseigna les peuples en ces trois langages.” (1:
Ante tamen Bruno, Francorum regia proles...
Usus franciscavulgari, et voce latina,

Instituit populos eloquio triplici.

Fontanini, della Eloquenza italiana, p. 15.

Francisca signifie francique, théotisque.)

Quant à la France, des preuves positives attestent l' usage général de la langue romane au VIIIe siècle.

Il existe deux vies de saint Adhalard, abbé de Corbie, né vers l' an 750.

L' une et l' autre font mention de cet idiôme.

Un disciple d' Adhalard, Paschase Ratbert, qui a écrit la première vie, a dit: "Parlait-il la langue vulgaire? ses paroles coulaient avec douceur; parlait-il la langue barbare, appelée théotisque? il brillait par l' éloquence de la charité”. (2: "Quem si vulgò audisses, dulcifluus emanabat; si vero idem barbarâ, quam teutiscam dicunt, linguâ loqueretur, præeminebat caritatis eloquio." Bolland. Acta Sanct. Januar. t. I, p. 109.)

Gérard de Corbie, qui a écrit la seconde vie, raconte les mêmes circonstances en termes plus exprès:

"S' il parlait en langue vulgaire, c' est-à-dire, romane, on eût dit qu' il ne savait que celle-là; s' il parlait en langue theutonique, il brillait encore

plus”. (3: "Qui si vulgari, id est, romanâ linguâ, loqueretur, omnium aliarum putaretur inscius; nec mirum, erat denique in omnibus liberaliter educatus; si verò theutonicâ, enitebat perfectius." Bolland. Acta Sanct. Januar. t. I, p. 116.)

En 714, un jeune sourd-muet de naissance avait été guéri miraculeusement au tombeau de saint Germain de Paris. D' après l' historien contemporain, ce jeune garçon répéta facilement les mots qu' il entendit prononcer; et non-seulement il apprit en peu de temps à parler parfaitement la langue rustique, mais il fut bientôt en état d' étudier les lettres (1: "Unde factum est ut, tam auditu quam locutione, in brevi non solum ipsam rusticam linguam perfectè loqueretur, sed etiam litteras, in ipsâ ecclesiâ clericus effectus, discere cœpit."
Ducange Gloss. præf. n. XIII.).

Ici se place un fait très important, qui sert à prouver que la langue romane était la langue vulgaire de tous les peuples qui obéissaient à Charlemagne dans le midi de l' Europe; et l' on sait que sa domination s' étendait sur tout le midi de la France, sur une partie de l' Espagne, et sur l' Italie presque entière.

Sous son règne, un espagnol malade, pour s' être imprudemment baigné dans l' Ebre, visitait les églises de France, d' Italie, et d' Allemagne, implorant sa guérison. Il arriva jusqu' à Fulde dans la Hesse (N. E. Fulda, Hessen), au tombeau de sainte Liobe.
(2: "Alter erat de Hispaniâ qui, peccatis exigentibus, pœnæ tali addictus est, ut horribiliter quateretur tremore omnium membrorum. Cujus passionis incommodum, sicut ipse retulit, in Ibero flumine contraxit; in quâ deformitate oculos civium suorum non sustinens, ubicumque ei ire visum est, per diversa sancta locorum vagabatur. Peragrata itaque omni Gallia atque Italia, Germaniam ingressus est… Fuldam venit… Cryptam occidentalem, super quam corpus S. Bonifacii martyris quiescit, ingressus est, ac prostratus in oratione…. Quod cernens vir venerandus Firmadus presbyter et monachus… Interea subito surrexit homo et non tremebat, quia sanatus erat. Interrogatus ergo a presbytero (quoniam linguæ ejus, eo quòd esset italus, notitiam habebat), retulit se per excessum mentis, etc."

Vita S. Liobae. - Mabillon, act. SS. Bened. secul. III, pars II, p. 258.

Mabillon observe que cette vie a été écrite par Rodulfe avant que les reliques de sainte Liobe eussent été transportées par Raban Maur au mont Saint-Pierre.

Rodulfe, prêtre et moine du couvent de Fulde, très savant dans toutes les sciences, historien et poëte, mourut le VIII des ides de mars 865, selon l' histoire de Pierre le bibliothécaire, ou 866, selon Duchesne, Hist. Franc. Script.).

Le malade obtint sa guérison; un prêtre l' interrogea, et l' Espagnol lui répondit.

Comment purent-ils s' entendre?

C' est, dit l' historien contemporain, que le prêtre, à cause qu' il était italien, connaissait la langue de l' Espagnol: "Quoniam linguae ejus, eo quod esset italus, notitiam habebat."

L' histoire nous fournit plusieurs faits qui permettent d' assurer que, sous le règne de Charlemagne, l' idiôme roman avait prévalu comme idiôme vulgaire sur la langue latine, et même que cette langue n' était plus comprise par le plus grand nombre des Français.

En 787, ce prince fut dans la nécessité d' appeler de Rome quelques grammairiens, pour rétablir en France l' enseignement de la langue latine (1: "Carolus iterum a Roma artis grammaticæ et computatoriæ magistros secum adduxit in Franciam, et ubique studium litterarum expandere jussit. Ante ipsum enim domnum regem Carolum, in Galliâ nullum studium fuerat liberalium artium." Vit. Karol. Magn. Per Monach. Egolism.)

Un fait bien décisif, c' est qu' Eginhard, historien de Charlemagne, s' excuse, en quelque sorte, d' écrire sa vie en latin:
(2: "En tibi librum præclarissimi et maximi viri memoriam continentem, in quo præter illius facta, non est quod admireris, nisi forte quod homo barbarus, et romana locutione perparum exercitatus, aliquid me decenter aut commodè latinè scribere posse putaverim." Eginh. Vit. Carol.)

"Voici, dit-il, l' ouvrage que je consacre à la mémoire de ce très grand et très illustre prince; vous serez surpris que moi, homme barbare, et peu

exercé dans la langue romaine, j' aie espéré écrire en latin avec quelque politesse et quelque facilité."

Si Eginhard, secrétaire et chancelier de Charlemagne, manifeste des craintes sur son style latin, s' il se nomme barbare, c' est que la langue latine n' étant point parlée vulgairement à la cour, il n' avait pas la

certitude que son style fut exempt de fautes; en effet, l' idiôme francique était la langue vulgaire à Aix-la-Chapelle (N. E. Aachen, Aquisgrán), et dans le nord de l' empire, tandis qu' à Paris, et dans le midi de l' empire, la langue vulgaire c' était l' idiôme roman.

Enfin, si la langue latine, qui restait toujours celle de la religion et du gouvernement, n' avait cessé d' être la langue du peuple, l' historien de Louis-le-Débonnaire aurait-il cru faire de ce prince un véritable éloge, en disant qu' il parlait la langue latine, aussi bien que sa langue naturelle? (1: "Latinam vero sicut naturalem æqualiter loqui poterat."

Theganus, de Gestis Ludov. pii.)

Au commencement du IXe siècle, divers conciles furent assemblés en différents lieux de l' empire de Charlemagne, pour rétablir la discipline ecclésiastique; ceux de Tours et de Rheims, tenus en 813, décidèrent que l' instruction religieuse devait être mise à la portée du peuple.

Quoiqu'on ait cité souvent l' article XVII des actes du concile de Tours, je crois indispensable de le traduire ici en entier:

"Il a paru à notre Unité que chaque évêque devait avoir des homélies contenant les admonitions nécessaires à l' instruction des fidèles, c' est-à-dire, sur la foi catholique, selon qu' ils en pourront comprendre, sur l' éternelle récompense des bons, et l' éternelle damnation des méchants, sur la résurrection future, et le jugement dernier, enfin sur la nature des œuvres par lesquelles on peut mériter la vie éternelle ou en être exclu. Que chaque évêque traduise publiquement ces homélies en langue rustique romane ou théotisque, de manière que tous puissent comprendre ces prédications."
(1: "Visum est unitati nostræ ut quisque episcopus habeat homilias continentes necessarias admonitiones quibus subjecti erudiantur; id est de fide catholicâ, pro ut capere possint, de perpetuâ retributione bonorum, et æternâ damnatione malorum, de resurrectione quoque futurâ, et ultimo judicio, et quibus operibus possit promereri vita beata quibusve excludi; et ut easdem homilias quisque apertè transferre studeat in rusticam romanam linguam aut theotiscam, quo faciliùs cuncti possint intelligere quæ dicuntur." Labbe. Concil. t. VII, col. 1263.

D' après Borel et Pasquier, on a souvent répété que les actes du concile d' Arles de 751 contiennent un passage semblable; mais c' est une erreur.)

L' article XV des actes du concile de Rheims porte:

"Les évêques doivent prêcher les sermons et les homélies, selon la langue propre aux auditeurs, afin que tous puissent les comprendre
(2: "Ut episcopi sermones et homilias sanctorum patrum, prout omnes

intelligere possint, secundum proprietatem linguæ, prædicare studeant." Labbe Concil. t. VII, col. 1256.)

Charlemagne publia, la même année 813, un capitulaire dont l' article XV prononce:

"Les prêtres doivent prêcher de manière que le simple peuplevulgaris populus, puisse comprendre, intelligere possit.” (3: De officio prædicatorum: "Ut juxta, quod bene vulgaris populus intelligere possit, assiduè fiat." Capit. Reg. Franc. An 813.)

Selon les conciles et les capitulaires, l' instruction religieuse se faisant en langue vulgaire, le peuple devint bientôt entièrement étranger à la langue latine; aussi lui en défendit-on l' usage dans les actes religieux

qui exigent une profession de foi. L' art. LV des capitulaires recueillis par Hérard, archevêque de Tours, et publiés dans un synode tenu en 858, porte:."Que nulles personnes ne seront admises à tenir un enfant sur les fonts baptismaux, si elles ne savent et ne comprennent, dans leur langue, l' oraison dominicale et le symbole. Il faut, dit cet article, connaître l' obligation qu'on aura contractée envers Dieu.”
(1: "Ut nemo a sacro fonte aliquem suscipiat, nisi orationem dominicam et symbolum juxta linguam suam et intellectum teneat; et omnes intelligant pactum quod cum deo fecerunt." Capitul. t. I, col. 1289.).

Il est hors de doute que, pour toute la partie méridionale de l' empire de Charlemagne, cette langue dans laquelle le peuple devait recevoir l' instruction religieuse, n' était autre que l' idiôme roman, dont Nithard nous a conservé un fragment précieux, en transcrivant les serments prononcés à Strasbourg l' an 842, par Louis-le-Germanique, et par les Français soumis à Charles-le-Chauve.

Nithard nous a transmis en latin le discours que les deux princes prononcèrent, l' un en langue romane, l' autre en langue théotisque.

Le concile de Mayence, (Mainz, Maguntia) tenu en 847, porte à l' art. II

les dispositions semblables à l' art. XVII du concile de Tours de 813, et se sert des mêmes expressions (2: Seulement un mot a été omis, sans doute par l' inadvertance du copiste. Labbe. Concil. t. VIII, col. 42.).

L' idiôme roman du serment de 842 paraît encore très grossier; il ne présente pas l' emploi de l' article.

Mais il est très vraisemblable que, dans le midi de la France, le langage était déja épuré. Le poëme d' Abbon sur le siège de Paris par les Normands, en 885 et 886, félicite l' Aquitaine, c' est-à-dire, les pays de l' autre côté de la Loire, sur la pureté et la finesse de la langue qu'on y parle.

Calliditate venis acieque, Aquitania, linguæ.

Abbo poem. lib. II, v. 471.

Le traité de Coblentz (Koblenz, Coblenza), fait en 860 entre Louis-le-Germanique et Charles-le-Chauve, fut également publié en langue théotisque ou francique, et en langue romane.

Les Capitulaires en offrent la traduction latine.

A la fin du traité on lit:
(1: "Hæc eadem domnus Karolus romana linguâ adnunciavit et eâ maximâ parte linguâ Theodiscâ recapitulavit.

Post hæc, domnus (Hludouuicus) Hludouvicus ad domnum Karolum fratrem suum linguâ romana dixit:

Nunc si vobis placet, vestrum verbum habere volo de illis hominibus qui

ad meam fidem venerunt."

Et domnus Karolus, excelsâ voce, linguâ romana dixit:

"Illis hominibus qui, etc."

Et domnus Hlotarius linguâ theodiscâ eis suprà adnunciatis capitulis se

convenire dixit, et se observaturum illa promisit.

Et tunc domnus Karolus iterum linguâ romana de pace convenit, et ut cum dei gratiâ sani et salvi irent, et ut eos sanos reviderent oravit, et adnuntiationibus finem imposuit." Cap. Reg. Franc. t. II, col. 144.)

"Charles proclama ce traité en langue romane, et en récapitula la plus grande partie en langue théotisque.

Après quoi Louis dit à son frère Charles en langue romane: Maintenant, si cela vous plaît, je voudrais avoir votre parole au sujet de ceux qui

avaient pris les armes pour moi.

Et Charles, d' une voix beaucoup plus élevée, proclama en langue romane l' amnistie demandée.

Et Lothaire donna en langue théotisque son adhésion au traité, et Charles proclama encore la paix en langue romane."

Ces monuments du IXe siècle peuvent-ils permettre de former le moindre doute sur le fait incontestable que la langue romane était alors dans la France la langue vulgaire du peuple et de l' armée?

Le texte même de Nithard le déclare expressément, lorsqu' il dit au sujet des serments de 842:

"Or le serment que chaque peuple de l' un et l' autre roi jura en sa propre langue, est ainsi en langue romane.”
(1: "Sacramentum autem quod utrorumque populus quique propriâ linguâ testatus est, romana linguâ sic se habet.")

A ces preuves historiques, qui ne laissent aucun doute sur l' existence ancienne de la langue romane, on peut ajouter des preuves matérielles:

Soit en recherchant les traces les plus reculées de l' emploi de l' article qui a été l' un des caractères innovateurs de cet idiôme; et le tableau que je présenterai à ce sujet démontrera l' emploi de l' article aux dates de 793, 810, 880, 886, 894, 924, 927, 930, 960, 994 (1: Voyez ci-après ce tableau, p. 43 et 44.);

Soit en reconnaissant les noms propres qui, dans les ouvrages latins écrits à une époque ancienne, sont désignés par une dénomination purement romane; (2: Il est peu de nos chartes anciennes qui n' offrent quelques noms de lieu (N. E. toponimia) en langue vulgaire; une circonstance ajoute encore à la preuve qui résulte de l' évidence des noms appartenant à la langue romane, c' est que l' on trouve aussi un grand nombre de noms qui appartiennent à la langue francique ou théotisque.

Voici quelques exemples pour la langue romane:

Charte de 713. "Locum de Osne."

Titre de 790. "Raymundus Raphinel…. Locum qui apellatur Lumbe

Super rivum Save…. Fiscum qui Piscarias dicitur…. Monasterio quod Cesarion dicitur." Gallia Christiana, Instr. Eccl. Lombariensis.

Titre de 806. "Villare quem dicunt Stagnole…. Villare quem vocant Agre…. In villa Ulmes." Hist. de Languedoc. Pr. t. I, col. 33.

Titre de 819. “Parrochiam de Archavel… Orgollel… Encap… De Tost

Palerols… De Noves… Banieres… Arches… Cortalb… Meranges… Balcebre… Macianers… Figols… Merles… Baien… Asnet. Etc. etc."

Append. March. Hisp.)

Soit enfin en cherchant dans les écrits de la basse latinité, les traces de la réaction de la langue vulgaire sur la langue latine.
(3: An 782. "A tunc nos missi…. A tunc ipsi missi et judices…" Hist. de Languedoc. Pr. t. I, col. 25.
An 852. "Ad tunc nos…. Ad tunc ipse Ramnus asserens dixit…. Unde

Ramnus ad tunc hora præceptum imperiale et judicium ad relegendum ostendit… Ad tunc nos supradicti interrogavimus…. Ad tunc ipse Odilo se recognobit…."

Hist. de Languedoc. Pr. t. I, col. 99.

An 833. "Ad contra responderunt." Muratori, diss. 70.)


Je crois avoir prouvé d' une manière incontestable, et par les faits historiques et par les preuves matérielles, l' existence et l' ancienneté de la langue romane.

Les monuments qu' offrent différents siècles et divers pays, démontrent avec la même évidence que l' idiôme primitif s' est conservé et perfectionné dans les écrits des troubadours, et dans le langage des peuples qui habitèrent le midi de la France.

Ce fait très certain avait été reconnu et attesté par de nombreux écrivains:

Fauchet, dans son Recueil de l' origine de la Langue et Poésie Françoise, Ryme et Romans, liv. I, ch. 4, s' exprime en ces termes:

"Or ne peut-on dire que la langue de ces serments, laquelle Nithard appelle romaine, soit vraiment romaine, j' entends latine, mais plutost pareille à celle dont usent à-présent les ProvençauxCathalans, ou ceux du Languedoc… Il faut donc nécessairement conclure que ceste langue Romaine, entendue par les soldats du roi Charles-le-Chauve, estoit ceste rustique romaine, en laquelle Charles-le-Grand vouloit que les omélies preschées aux églises, fussent translatées, afin d' estre entendues par les simples gens, comme leur langue maternelle, aux prosnes et sermons….".

Il reste à savoir pourquoi ceste langue romaine rustique a été chassée outre Loire…".

Cette dernière séparation de Hue Capet fut cause, et, à mon advis, apporta un plus grand changement; voire, si j' ose le dire, doubla la

langue romande."

Cazeneuve, dans un fragment qu' il a écrit sur cette matière, a dit:

"Ces deux langues teudisque et romaine furent usitées dans les états de nos rois, jusqu' à ce que, par le partage fait entre les enfants de Louis-le-Débonnaire, le pays qui est maintenant sujet à la couronne de France échut à Charles-le-Chauve, et ce que nos rois avoient conquis en Allemagne échut à Louis son frère, avec le titre de roi de Germanie; car dès lors commença la division des deux langues, la romaine demeurant dans les états de Charles-le-Chauve, et la teudisque dans ceux de Louis-le-Germanique.

Cependant cette langue romaine souffrit en peu de temps un notable changement; car, comme les langues suivent d' ordinaire les fortunes des états, et perdent la pureté dans leur décadence, après que l' Allemagne fut éclipsée de la couronne de France, la cour de nos rois, qui se tenoit à Aix-la-Chapelle, se tint à Paris, et d' autant que cette ville se trouva assise près de l' extrémité du royaume qui tient à l' Allemagne, et par conséquent éloigné de la Gaule Narbonoise, où étoit l' usage de la langue romaine, il arriva qu' insensiblement, à la cour de nos rois et aux provinces qui en étoient voisines, il se forma une troisième langue qui retint bien le nom de romaine, mais qui se rendit avec le temps tout-à-fait différente de l' ancienne langue romaine, laquelle pourtant demeura en sa pureté dans les provinces qui sont en-deçà de la Loire; et d' autant que les peuples de delà la Loire disoient oui, (ancienne oïl) et ceux de deçà oc, la France fut divisée en pays de langue d' oui ou Françoise, et de langue d' oc ou provençale, dont le nom est demeuré à la province auparavant appelée Septimanie.

Or que cette langue d' oc ou provençale soit la même que l' ancienne langue romaine, il se peut clairement justifier par les serments qui sont dans Nitard… Puis donc qu' il est hors de doute que notre langue d' oc ou provençale est cette même langue romaine, que les anciens François parloient devant la troisième race de nos rois, c' est-à-dire, auparavant le Xe siècle, ne pouvons-nous pas aussi, sans faire les vains, et nous donner une gloire imaginaire, assurer que c' est de notre langue qu' a pris son origine celle que nous appelons maintenant françoise?… Ce lui est toujours de l' honneur d' estre comme le cep d' où s' est provignée cette belle langue françoise

Mais quand j' aurai fait voir de plus que c' est d' elle que les langues Italienne et Espagnole ont pris leur naissance, j' ose bien assurer… qu'on n' en fera pas moins d' estime qu'on fait d' ordinaire des sources des grands fleuves, quelque petites qu' elles soient."

Huet, dans son ouvrage de l' Origine des Romans, a consacré la même opinion:

"Le langage romain fut appelé la langue provençale, non-seulement parce qu' il reçut moins d' altération dans la Provence que dans les autres cantons de la France, mais encore parce que les Provençaux s' en servoient ordinairement dans leurs compositions, etc. Les troubadours, les chanterres, les conteurs, et les jongleurs de Provence, et enfin tous ceux qui exerçoient ce qu'on y appeloit la science gaie, (N. E. gay saber) commencèrent, dès le temps de Hue Capet, à romaniser tout de bon, débitant leurs romans et leurs fabliaux composés en langage romain: car alors les Provençaux avoient plus d' usage des lettres et de la poésie que tout le reste des François

Le roman estant donc plus universellement entendu, les conteurs de Provence s' en servirent pour écrire leurs contes qui de là furent appelés romans." (chap. eres un romansé)

Je ne dois pas omettre le sentiment de l' abbé Lebœuf, qui était si versé dans cette matière; ses recherches sur les plus anciennes traductions en

idiôme français offrent le passage suivant:

"Je me contente d' avancer, comme une chose très vraisemblable, que, dans la plupart des provinces des Gaules, on parloit vulgairement une langue peu différente de celle des Provençaux, des Périgourdins, des Limousins. Je pense que cela dura jusqu' à ce que le commerce de ces provinces avec les peuples du nord et de l' Allemagne, et sur-tout celui des habitants de l' Armorique avec les Anglois, vers le XIe siècle, eussent apporté dans la Romaine rustique, une dureté qui n' y étoit pas auparavant.” (1: Mém. de l' Acad. des Inscr. Et Belles-Lettres, t. XVII, p. 718.)

Les savants auteurs de l' histoire de Languedoc ont plusieurs fois donné à ce sujet des explications aussi curieuses qu' incontestables.

"La langue latine commençoit cependant à se corrompre, et dégénéra enfin de manière qu' elle forma ce qu'on appella dans la suite la langue

romaine, qui est à-peu-près la même qu'on parle aujourd'hui dans les provinces méridionales du royaume, et qui, dès le milieu du IXe siècle, se trouvoit déja toute formée, ainsi que nous le verrons ailleurs... (2: Hist. générale du Languedoc, t. I p. 327.)

Du mélange de cette langue avec celle des barbares, et du commerce de ces derniers avec les Romains ou Gaulois d' origine, qui ne firent ensuite qu' un seul peuple, il se forma enfin une nouvelle langue qu'on appela romaine, et qui est à-peu-près la même qu'on parle encore aujourd'hui dans le pays.” (1: Hist. générale du Languedoc, t. I, p. 379.)

Au sujet du serment de 842, ils disent:

"On peut remarquer dans ces deux actes que la langue qu'on appelle romaine est presque la même que celle que parlent encore aujourd'hui les peuples de Provence, de Languedoc, et de Gascogne, et qu' elle a beaucoup moins de rapport avec la françoise.” (2: Hist. générale du Languedoc, t. I, p. 532.)

Les auteurs de l' Histoire Littéraire de la France s' expriment sur le même sujet en termes non moins affirmatifs:
(3: Hist. Lit. de la France, t. IX, p. 172.)

"Dans la suite on distingua de la poésie françoise, proprement dite, la poésie provençale: celle-ci différoit de l' autre, en ce que le génie de la langue demeura presque pur roman, au lieu que la françoise, quoique pur roman dans son origine, comme l' autre, fut adoucie peu-à-peu, tant par de nouvelles inflexions et terminaisons qu' elle reçut, que par les autres endroits qui la rapprochèrent successivement du génie françois… C' étoit la langue qu' employoient ordinairement les poëtes d' en-deçà la Loire; ceux d' au-delà versifioient au contraire en langue provençale:” (1: "Quant au nom de provençale, qu'on donna à la langue dont on se servoit dans les provinces méridionales de la France, après que les peuples des pays septentrionaux eurent adopté un idiôme différent, il est certain qu' elle ne fut pas ainsi nommée, parce qu' elle fut d' abord particulière aux peuples de la Provence proprement dite, mais à cause qu' elle comprenoit alors, sous le nom de Provençaux, tous les peuples de la partie méridionale de la France. Les divers auteurs qui ont écrit, à la fin du XIe siècle, l' histoire de la première croisade, nous en fournissent les preuves: On nomme provençaux, dit un de ces historiens, les peuples de Bourgogne, d' Auvergne, de Gascogne, de Gothie, et de Provence. Les autres s' appeloient François, mais les ennemis donnoient le nom de Francs aux uns et aux autres. Les Aquitains étoient aussi compris sous le nom de Provençaux."
Hist. gén. du Languedoc, t. II, p. 246.)

J' avais prouvé l' existence et l' ancienneté de la langue romane; je crois que les autorités que je rapporte pour démontrer son identité avec la langue des troubadours ou poetes provençaux, ne laissent aucun doute sur ce point.

Mais quel était le mécanisme, quelles étaient les formes essentielles de cette langue?

C' est ce que j' ai à examiner et à démontrer.

D' abord j' exposerai les détails relatifs à son origine, et j' en expliquerai la formation; ce qui me permettra de présenter les éléments de sa grammaire avant l' an 1000.

Et ensuite je donnerai une grammaire détaillée de la même langue, devenue celle des troubadours; et j' autoriserai toutes les règles, soit générales, soit particulières, par les citations qui seront presque toujours prises dans les écrits de ces illustres poëtes.

_______

(2) Escritura del Rey moro de Coimbra, era 772. (an. 734).

"Alboacem Iben Mahumet Alhamar, Iben Tarif, bellator fortis, vincitor

Hispaniarum, dominator Cantabriæ Gothorum, et magnæ litis Roderici. Quoniam nos constituit Allah, Illalah super gentem Nazarat, E fecit me dominatorem Colimb, et omni terræ inter Goadaluam, et Mondecum, et Goadatha per ubi esparte meum mandum. Ego ordinavi, quod Christiani de meas terras pecten dupliciter quam Mauri, et de ecclesiis per singulas XXV. pesantes de bono argento, et per monasteria peiten L. pesantes et vispesantes pecten cent santes: et Christiani habeant in Colimb suum comitem, et in Goadatha alium comitem de sua gente, qui manteneat eos in bono juzgo, secundum solent homines Christiani, et isti component rixas inter illos, et non matabunt hominem sine jussu de Alcaide; seu Aluacile Sarraceno. Sed ponent illum apres de Alcaide, et mostrabunt suos juzgos, et ille dicebit: bene est; et matabunt culpatum.

In populationibus parvis ponent suos judices, qui regant eos benè, et sine rixas. Si autem contingat homo Christianus quod matet, vel injuriet hominem Maurum, Alvacir seu Alcaide faciat de illo secundum juzgo de Mauris; si Christianus esforciaverit Sarracenam virginem, sit Maurus et recipiat illam, sin matent eum; si fuerit de marito, matent eum; si Christianus fuerit ad Mesquidam vel dixerit male de Allah, vel Mahamet, fiant Maurus, sin matent eum. Bispi de Christianis non maledicant reges Maurorum, sin moriantur. Presbyteri non faciat suas missas, nisi portis cerratis, sin pieten (peiten) X pesantes argenti: monasteria quæ sunt in meo mando habeant sua bona in pace, et pechen prædictos L. pesantes. Monasterium de Montanis, qui dicitur Laurbano, non peche nullo pesante, quoniam bona intentione monstrant mihi loca de suis venatise faciunt Sarracenis bona acolhenza, et nunquam invenit falsum, neque malum animum in illis, qui morant ibi, et totas suas hæreditates possideant cum pace, et bona quiete, sine rixa et sine vexatione, neque forcia de Mauris, et veniant, et vadant ad Colimbriam cum libertate per diem, et per noctem, quando meliùs velint aut nolint, emant et vendant sine pecho, tali pacto quòd non vadant foras de nostras terras sine nostro aparazmo, et benè velle; et quia sic volumus, et ut omnes sciant, facio cartam salvo conducto, et do Christianis ut habeant illam pro suo juzgo, et mostrent, cum Mauri requisiverint ab illis. Et si quis de Sarracenis non sibi observaverit nostrum juzgo in quo fecerit damnum, componant pro suo avere, vel pro sua vita, et sit juzgo de illo, sicut de Christiano usque ad sanguinem et vitam. Fuit facta carta de juzgo, æra de Christianis DCC, LXXII, secundum verò annos Arabum CXXXXVII. Luna XIII. Dulhija Alboacem, iben Mahomet Alhamar, iben Tarif rogatu Christianorum firmavi pro more .O. et dederunt pro robore duos æquos optimos, et ego confirmavi totum."

Historias de Idacio, etc. fol. 88 et 89.
(N. E. Apéndice de Carlos Romey, Historia de España etc., traducida por A. Bergnes de las Casas:

Texto Original.

Alboacem Iben Mahumet Alhamar Iben Tarif, bellator fortis, vincitor Hispaniarum, dominator CABALLARIAE Gothorum, et magnæ litis Roderici. Quoniam nos constituit Alla-Illelah super gentem Nazarat, et fecit me dominatorem Colimb, et omni terræ inter Goadaluam, et Mondecum, et Goadatha, per ubi ESPARTE meum mandum. Ego ordinavi, quod christiani de meas terras PECTEN dupliciter quam Mauri, et de ecclesiis per singulas XXV pesantes de bono argento, et per monasteria PEITEN L pesantes et vispesantes PECTEN CENT santes: et christiani habeant in Colimb suum comiten, (comitem) et in Goadatha alium comitem de suâ (suam) gente, qui manteneat eos in bono juzgo, secundum solent homines christiani, et isti component rixas inter illos, et non matabunt hominem sine jussu de alcaide, seu aluacile sarraceno. Sed ponent illum APRES de alcaide, et mostrabunt suos juzgos, et ille dicebit: bene est, et matabunt culpatum. In populationibus parvis ponent suos judices, qui regant eos benè, et sine RIXAS. Si autem contingat homo christianus quod matet, vel injuriet hominem Maurumaluacir seu alcaide faciat de illo secundum juzgo de Mauris; si christianus esforciaverit sarracenam virginem, sit Maurus et recepiat illam, sin matent eum; si fuerit de marito matent eum; si christianus fuerit ad mesquidam vel dixerit male de Allah, vel Mahamet, fiant Maurus, sin matent eum. Bispi (episcopo: bisbe: vespe: obispo) de christianis non maledicant reges Maurorum, sin moriantur. Presbyteri non faciat suas missas, nisi portis cerratis, sin PIETEN X pesantes argenti: monasteria quæ sunt in meo mando habeant sua bona in pace, et PECHEN prædictos L pesantes. Monasterium de Montanis, qui dicitur Laurbano non PECHE nullo pesante, quoniam bona intentione mostrant mihi loca de suis venatis, E faciunt Sarracenis bona ACOLHENZA, et nunquam invenit falsum, neque malum animum in illis, qui morant ibi, et totas suas hæreditates possideant cum pace, et bona quiete, sine rixe et sine vexatione, neque FORCIA de Mauris, et veniant et vadant ad Colimbriam cum libertate per diem, et per noctem, quando melius velint aut nolint, emant et vendant sine PECHO, tali pacto quod non vadant foras de nostras terras sine nostro aparazmo, et benè velle; et quia sic volumus, et ut omnes sciant, facio kartam salvo conducto, et do christianis ut habeant illam pro suo juzgo, et mostrent cum Mauri requisiverint ab illis. Et si quis de Sarracenis non sibi observaverit nostrum juzgo in quo fecerit damnum, componant pro suo avere, vel pro sua vita, et sit juzgo de illo sicut de christiano usque ad sanguinem et vitam. Fuit facta karta de juzgo æra de christianis DCCLXXII, secundum vero annos Arabum CXXXXVII, Luna XIII, Dulbija. Alboacem iben Mahomet Alhamar iben Tarif rogatu christianorum firmavi pro more .O. (puntos elevados) et dederunt pro robore duos equos optimos, et ego confirmavi totum.
Extracto de la Monarchia Lusitana de Brito, II part., fol., 288 et seq.

Fuero de Alboacem.


“Un autor arábigo, dice un autor moderno, conservó uno de aquellos convenios (entre vencedores y vencidos), y es el que un oficial árabe, llamado Alboacem Ibn Mohamed Alhamar, hizo con la ciudad de Coimbra.”
Pero no lo hay semejante, ni en los historiadores nacionales de la conquista, ni en colección diplomática arábiga. Con efecto, no es autor arábigo el conservador del ordenamiento de Coimbra, pues estuvo antes archivado en la abadía de Lorbao, en Portugal, y se publicó al pronto en la Monarchia Lusitana, Lisboa 1609, en 4.°, part. II, p. 288- 289: después con erratas por Sandoval, Historia de los cinco obispos, Pamplona 1615, p. 88 y siguientes. En fin, Mr. Reynouard la sacó de nuevo a luz, por Sandoval, en sus Selectas de poesías originales de los Trobadores, París 1816, t. I, pág. 11. Es monumento de entidad filológica, aunque no histórica, y que bajo este título merece tener aquí su lugar, si bien todo está manifestando que no es con mucho tan antiguo como la fecha equivocada que trae lo dio a entender a Mr. Reynouard (véase cuanto se dijo sobre este punto).

Traducción del fuero de Alboacem.

"Alboacem Ibn Mohamet Alhamar Ibn Tarif, guerrero poderoso, vencedor de las Españas, arrollador de la caballería goda y de la gran liga de Rodrigo. Habiéndome puesto al frente de la nación nazarat, y habiéndome constituido gobernador de Colimb y de todo el territorio entre GoadalvaMondeco y Goadatha, que abarca mi mando, he dispuesto lo siguiente:
pagarán los Cristianos de mis tierras tributo doble que los Moros. Pagarán las iglesias veinte y cinco piezas de plata fina por la que fuere más ordinaria, cincuenta por cada monasterio, y ciento por la catedral. Tendrán los Cristianos en Colimb un conde de su nación, y otro en Goadatha, quienes los gobernarán con arreglo a las leyes y costumbres cristianas, y sentenciarán las desavenencias que sobrevinieren entre ellos: mas a ninguno darán muerte sin disposición del alcaide o del alvacir sarraceno, ante el cual traerán al reo, manifestando sus leyes; dirá el alcaide me conformo, y matarán al culpado.
En las poblaciones cortas tendrán los Cristianos sus jueces que los gobiernen debidamente y sin contiendas. Si acaeciere que un Cristiano mate o insulte a un Moro, obrarán el alvacir o el alcaide según las leyes de los Moros. Si algún Cristiano atropellare a una doncella sarracena, tendrá que hacerse moro y desposarse con ella, y si no, se le matará; si es casada, se matará al reo.
Si un Cristiano entra en una mezquita, y si dice mal sea de Alá, o sea de Mahoma, tendrá que hacerse moro, ú debe morir. Los obispos de los Cristianos nunca han de zaherir a los reyes moros, y en tal caso, han de fenecer. Los clérigos no dirán misa sino a puertas cerradas, y de lo contrario, pagarán diez piezas de plata. Los monasterios comprendidos en mi jurisdicción disfrutarán en paz sus haciendas, pagando las cincuenta piezas sobredichas. El monasterio de la serranía, llamado Laurbao, nada pagará, por cuanto los monjes me suelen mostrar gustosos sus cazaderos, acogen a los Sarracenos, y nunca he cogido en fraude ni en maldad a los domiciliados en aquel convento; y así seguirán conservando sus fincas sin padecer tropelía ni violencia de parte de los Moros. Serán árbitros de ir y venir a Colimb de día y de noche según les plazca; y tendrán también el desahogo de vender y comprar sin pecha alguna, con tal que no salgan de nuestro territorio sin nuestra anuencia. Y por cuanto es esta nuestra voluntad, para que todos se enteren, otorgo el presente salvoconducto a los Cristianos para que lo tengan por una de sus leyes, y lo manifiesten cuantas veces lo requieran los Moros; y en caso de haber algún Sarraceno que se desentienda de cumplirlo, se le juzgará hasta costarle sangre y vida como a cualquier Cristiano. Este fuero de justicia se hizo en la era de los Cristianos, el año 772, y según los años de los Árabes, el 13 de la luna de djulhedja de 147. Yo Alboacem iben Mahomet Alhamar iben Tarif, a instancia de los Cristianos, firmo según costumbre (puntos elevados) .O. habiéndome dado en ratificación dos hermosos caballos, y lo confirmo todo.

La diferencia principal entre Brito y Sandoval estriba en que el uno trae al principio dominator caballariæ Gothorum, y el otro dominator Cantabriae Gothorum; pero este último giro está positivamente equivocado, puesto que el mismo Sandoval dice al traducir (p. 89) domador de la caballería de los Godos.
Hemos rayado (mayúsculas), a ejemplo de Mr. Reynouard, las voces del texto original que corresponden directamente a la lengua romana, (romance) como e, y, conjunción; esparte, se extiende; pecten, peiten, paguen; peche, pague; cent, ciento; apres, junto, acolhenza, acogida, etc. Hemos añadido caballería, forcia, esforciaverit. - Se advertirá el modo con que el Wad de los Árabes se expresa en aquel latín bárbaro, modo idéntico con el prohijado por los Castellanos, que trasladan la waw arábiga, como ya se ha visto, con las letras gu, que vienen a sonar como la waw, la cual se suele pronunciar en arábigo como una w doble y gutural o aspirada. Así pues Goadalva es el Alva, Goadatha el Águeda, que desaguan, el primero en el Mondego, y el segundo en el Duero, al nordeste y al norte de Coimbra. En cuanto a la fecha del acta, advertiremos, lo que no parece se haya notado por otros, que el año 147 de la hégira medió entre el 9 de marzo de 764 y el 25 de febrero de 765, y no cuadra por consiguiente, como lo expresa el diploma, con el año de 772, ni de la era de Jesucristo ni de la de España, que corresponde al de Jesucristo de 734Añádanse tres siglos a esta fecha, y se tendrá tal vez la verdadera del acta, auténtica al parecer en parte, y adulterada y viciada indudablemente en parte; teniendo con efecto poco que extrañar el que un walí árabe haya otorgado en 447 de la hégira (1055) un fuero de resguardo a los moradores de la provincia de Coimbra, en recordando los vaivenes de aquel pueblo, tomado contra los Árabes por Alfonso el Católico, recobrado por Almanzor en 987, yermo luego por siete años, reedificado después por los Ismaelitas, quienes lo habitaron setenta años, hasta que Fernando I, hijo de Sancho el Grande, lo tomó el VIII de las calendas de agosto del año 1064.)

Tome 1:

Recherches

Chapitre 1

Chapitre 2 - Substantifs

Chapitre 3 - Adjectifs

Chapitre 4 - Pronoms

Chapitre 5 - noms de nombres

Chapitre 6 - Verbes

Chapitre 7 - Adverbes, Prépositions, Conjonctions

Chapitre 8 - Idiotismes

Appendice - manuscrits


Tome 2

Dissertations troubadours

Des cours d' amour

Monuments de la langue romane

Monuments langue romane depuis 842

Actes titres 960